27 mai 2008

Leadership et légitimité

Cette conférence a été organisée autour d’Etienne Pflimlin, Président du Crédit Mutuel et de Richard Pin, Responsable du Master « Management de l’Innovation Sociale(1) » deSciences Po Lille.

Résumé et extraits

Richard Pin, une approche sociale du leadership

« La caractéristique la plus importante du leadership est la légitimité » explique Henry Mintzberg. En réduisant le leadership à un, nous oublions les autres sans lesquels le leader n’est pourtant rien. Mintzberg nous explique combien « le leader, pour une certaine littérature business pop, c’est l’équivalent du cavalier qui, du haut de son cheval blanc, arrive en sauveur pour régler tous les problèmes. Seul. Comme par magie. » Quelle serait alors la solution qui pourrait nous aider à briser ce cercle vicieux où, face à des situations de plus en plus complexes, nous rechercherions des solutions de plus en plus radicales, portées par des individus de plus en plus radicaux ?

« On ne devrait jamais nommer un manager sans demander à ceux qu’il a dirigés ce qu’ils pensent de lui » nous dit Mintzberg.

« Le vrai leadership s’acquiert à l’interne, dans une unité, une organisation, une communauté ». Partant de là, nous avancerons l’idée que le leadership n’est pas le véritable leadership. La première explication de ce constat est que nous sommes, et peut être pour notre plus grand malheur, des obsédés du leadership.

Cette obsession relevée d’ailleurs par Mintzberg se traduit, entre autres, par le nombre de publications, de forums, de colloques, de congrès et de formations consacrées au leadership, l’Observatoire de la Gouvernance n’étant pas épargné par le mal. Le leadership, c’est 124 millions d’occurrences sur Google et plus de 250 000 ouvrages sur Amazon.

Bien évidemment, il est impossible de distinguer le bon grain de l’ivraie, ce d’autant plus que derrière toute cette offre se cache aussi le pire : des productions de piètre qualité surfent sur une mode, dans le pire des cas des discours à même de causer des dégâts sur des individus et dans des organisations, voire des dérives sectaires, sont véhiculés.

Par ailleurs, cette surabondance nuit à la compréhension que nous pouvons avoir du leadership, à la lisibilité de la notion, mais aussi et surtout à la vision que nous pouvons en avoir. La spirale que nous créons et auto entretenons nous conduit à pousser de plus en plus loin nos délires obsessionnels. C’est ce que Mintzberg relève dans son interview : « Une organisation connaît du succès? C’est à cause de l’individu qui la dirige. Elle va mal ? Trouvons un meilleur leader et tout rentrera dans l’ordre ».

Pourtant, il n’est pas si difficile de voir que nous sommes pris à notre propre jeu : à trop vouloir du leadership, nous n’avons plus de leadership. Une autre explication est qu’à trop nous centrer sur le leader, nous ne savons plus ce qu’est le leadership.

Nous nous laissons aveugler par les fortunes et les désastres causés par des individus et nous avons tendance à oublier que ces individus sont d’abord des membres d’organisations, ayant pour chacune d’entre elles leur propre rapport au temps et à l’espace. Chaque organisation va produire une culture qui lui est propre, écrire une histoire qui lui appartient, réunir des hommes et des femmes participant à ce mouvement global.

Or, restreindre le leadership au seul leader revient à couper les organisations de celles et ceux qui les caractérisent et les font vivre, à savoir leurs membres. Partout dans le monde politique comme dans celui des affaires, nous sommes portés à en appeler à des leaders brillants sous les feux des projecteurs devant les parties prenantes de toute organisation qu’elle soit entreprise, ONG, parti politique, collectivité locale ou Etat. Confondre leadership et leader est la pire crise que puisse connaître le leadership, parce qu’elle porte en elle le germe d’une catastrophe majeure pour nos organisations : à trop vouloir des leaders, nous n’avons plus de leadership.

Ensuite, nous tombons dans un piège connu comme le mythe de la Pierre Philosophale : nous voulons apprendre le leadership, ce parce que nous voulons être leader, attirés que nous sommes par le pouvoir, l’argent, la gloire ou même les trois. Or, comme le relève Mintzberg, « le leadership ne s'apprend pas dans les salles de cours. Il s'acquiert au fil des ans, avec des essais, des erreurs et des cicatrices pour en témoigner. »

L’enseignement du leadership ne peut donc pas consister en recettes, outils, méthodes qui viseraient à faire de nous des leaders. Rien n’y fait : la demande est forte dans les business schools ou dans les Universités d’entreprise pour des cours sur l’exercice du pouvoir. Force est de constater que l’offre prolifère, à coup de littérature de management d’aéroport, de biographies sur les recettes du succès de personnalités en vue du moment, de produits sans cesse renouvelés proposés par certains vendeurs de conseil et de formation. Nos incantations s’amplifient et se répondent entre elles : nous avons besoin de leaders, nous avons besoin d’être ces leaders et nous voulons apprendre à l’être rapidement, à coup de trucs et d’astuces : à trop vouloir des leaders, nous n’avons plus de leaders.

Manager consiste à trouver des solutions, diriger consiste à gérer des paradoxes. Nous touchons là à un enjeu majeur du leadership et ceci n’a pas échappé à certains des plus grands penseurs du management, dont Warren Bennis qui écrivit : « Le problème auquel seront confrontés presque tous les leaders à l'avenir sera de développer l'architecture sociale de leur organisation de manière à ce qu'elle génère du capital intellectuel. »

« Mais nous aurions tort de nous en remettre à ces seuls individus pour faire avancer nos organisations et nos sociétés. » Le leadership est phénomène social. C’est l’avènement de ce que Mintzberg nomme le COMMUNAUTESHIP, garant d’un meilleur équilibre entre le leadership - juste assez de leadership - et la reconnaissance de l’apport des processus collectifs dans la vitalité de nos organisations et de nos sociétés ... / ...

Etienne Pflimlin, une approche du leader mutualiste

"... / ... On a souvent tendance à classer les banquiers selon deux catégories, les gestionnaires de risques financiers et les banquiers chefs d’entreprise. Un dirigeant de Crédit Mutuel serait plutôt à ranger dans une autre catégorie qui est celle des « banquiers de proximité ». Cette proximité a un prix, celui d’être directement confronté avec la réalité locale, directe avec les sociétaires. Il n’est pas rare de voir un Président de Caisse locale du Crédit Mutuel, qui, face à son Assemblée générale annuelle, peut être « tétanisé ». Le meilleur conseil alors est d’être naturel, d’être soi-même. Il y a un véritable art de la simplicité et du naturel dans le leadership mutualiste. Leader capitaliste vs leader mutualiste.

Une des différences de taille tient à l’absence de logique et de dépendance de la cotation pour les organisations mutualistes. Le cours de bourse a trop tendance à être un indicateur de la qualité du leader. Or, bien souvent ses qualités et ses actions sont à appréhender à l’aide d’autres critères, certainement moins volatils. Dans les organisations mutualistes la performance est collective, elle n’est donc pas le simple fait et la responsabilité d’un seul individu. Les bons résultats comme les mauvais sont la responsabilité de tous, ce qui est logique, une entreprise ne peut se résumer au « génie » d’un seul individu. D’un autre côté, il est évident que, si le rachat du CIC par le Crédit Mutuel s’était avéré un échec, le leader aurait été atteint. Il y a également une responsabilité historique du leader mutualiste. Il doit veiller à transmettre la coopérative, l’outil économique, à ses enfants.

L’intergénérationnel est une donnée fondamentale pour bien comprendre ce qu’est un leader mutualiste. Nous nous inscrivons ainsi en porte-à-faux au regard d’une logique court-termiste qui, parfois, peut venir brouiller les messages stratégiques d’entreprises cotées. Notre investissement se fait ainsi sur ceux qui font vivre la coopérative, nous engageons des politiques de revitalisation de notre sociétariat, de nos administrateurs, là se trouve notre moteur et notre finalité. La subsidiarité et le modèle politique des coopératives.

Diriger une organisation mutualiste passe par l’interactivité permanente entre niveaux de l’organisation. Le mandat national est dépendant des autres mandats, présider la Confédération nationale du Crédit Mutuel est fonction d’autres mandats régionaux et locaux. Ainsi, je suis Président du Crédit Mutuel, mais également Président de la Fédération régionale Centre Est Europe et surtout Président d’une Caisse locale à Strasbourg. L’interactivité est complète, la légitimité à tous les niveaux, auprès des sociétaires, des administrateurs locaux, régionaux et nationaux. Le leader incarne laculture de l’entreprise à tous les niveaux de l’organisation, pour tous.

Une organisation comme le Crédit Mutuel ressemble d’ailleurs plus à un système politique, avec divers échelons de nominations liés entre eux, qu’à un modèle d’entreprise classique qui serait hiérarchisé et centralisé.

Le Crédit Mutuel fonctionne selon le principe de subsidiarité. Les 2 000 Caisses locales sont autonomes, dirigées par 24 000 administrateurs élus. Tout ce qu’elles ne peuvent réaliser par elles-mêmes est délégué au niveau régional. Les 18 Fédérations régionales et les 700 administrateurs gèrent leur organisation et font appel au niveau national pour les opérations qu’elles ne peuvent effectuer seules. Le Président de la Confédération nationale a ainsi un rôle de fédérateur en interne et de représentant national, européen et international en externe.

Chacun est leader à son niveau, la légitimité tient au fonctionnement démocratique de l’ensemble. Cette légitimité tient aussi à la volonté que chacun met à vouloir devenir administrateur. Cet engagement illustre la détermination d’acteurs de faire vivre les valeurs mutualistes du groupe. Ces valeurs sont partagées et consolident le collectif global. D’ailleurs, les candidats au poste d’administrateur se présentent en portant en eux, déjà, un lien, voire un attachement particulier à l’organisation.

La candidature est ainsi fonction de cette adhésion profonde.Si nous devions nous interroger pour savoir si ce sont les grands hommes qui font l’histoire, nous répondrions que, dans les coopératives, c’est un subtil mélange de la force collective des sociétaires et de leurs dirigeants qui agissent avec la conscience de promouvoir une organisation qui a un sens original, voire originel.« L’union fait la force. Aujourd’hui, une plate-forme européenne promeut les intérêts de 260 000 coopératives. S’exprimer au nom de chacun confère une responsabilité et une force partagées par la totalité de la communauté coopérative ».

Il ne peut y avoir de responsabilités dans une banque coopérative si on n’y croit pas.

L’exigence est profonde et forte.

(1) Mastère de management de l'innovation sociale

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