05 août 2005

Éliminer la pauvreté ?

Interview de Alain Leroux, professeur d'économie à l'Université Paul Cézanne (Aix-Marseille)donnée à MAIF Info

Dans quel système vivons-nous ?

De toute évidence, notre société est emportée par un individualisme croissant. Cette évolution nous semble d’autant plus inéluctable qu’elle traverse toutes les sociétés occidentales. Nous voilà donc tout près de nous y résigner, d’autant que les catastrophes du XXème siècle nous ont appris à être prudents et humbles devant l’histoire. Pourtant, si nous ne pouvons pas renverser le cours des choses, il est certainement possible de l’aménager. Contrairement à ce que beaucoup continuent de dire, cependant, ce n’est pas le capitalisme qu’il faut remettre en cause. La société française des “ trente glorieuses ” (1945-1975), souvent évoquée avec nostalgie, était tout aussi capitaliste que la société d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, d’ailleurs, le capitalisme est bel et bien en place, et pour longtemps sans doute. En revanche, nous pouvons agir efficacement en contestant la philosophie sociale qui guide depuis une vingtaine d’années son évolution : le libéralisme.

Quelle est la place de l’homme dans un système libéral ?

Le libéralisme nous dépeint sous les traits d’un individu, menant une double vie : privée et sociale. L’espace de vie social doit être organisé sur le mode du marché, afin que les individus entrent librement en contact les uns avec les autres et procèdent à des échanges où chacun trouve son intérêt. On pense là, bien sûr, au marché économique mais, dans le libéralisme, le marché à vocation à devenir le mode d’organisation générique de tout rapport social. La démocratie, par exemple, est de plus en plus analysée comme un “ marché politique ”. Naturellement, sur le marché, l’individu adopte un comportement calculateur et égoïste, puisque c’est à ce prix seulement que l’échange profite. En marge de cet espace social, chaque individu bénéficie d’un espace de vie privé, où il peut cette fois mener indifféremment son existence sur le mode qui lui chante, affectif, esthétique, éthique…. Enfin, l’autorité suprême, disons l’Etat, a pour tâche quasi exclusive de veiller au respect de la libre concurrence dans l’espace social et à l’inviolabilité des espaces privés. Inutile d’insister sur le fait qu’une telle représentation de l’homme et de la société pousse irrésistiblement au repli sur soi (sphère privée) et réduit le rapport à autrui à un simple calcul d’intérêt (sphère sociale). Comment s’étonner alors que l’individualisme nous submerge ?

Quid alors de la personne ?

Il est au moins une autre philosophie sociale, en rupture radicale avec le libéralisme et pour autant pleinement en harmonie avec la société d’aujourd’hui. L’homme y est vu cette fois comme une personne, c’est-à-dire comme un être unique mais complexe, à la fois calculateur et désintéressé, égoïste et généreux, rationnel et sentimental… et qui a besoin en toute circonstance de cette gamme d'expressions pour mener au mieux sa vie. Même si le domaine des rapports égoïstes est largement étendu, les relations humaines qui participent le plus à l’accomplissement de chaque personne ne sont pas de cette nature. Elles activent bien d’autres composantes du comportement humain, affectives, morales ou spirituelles. Les confiner dans l’intimité de l’espace privé est alors un non sens, si l’on admet que la finalité de la société est d’aider chacun à se réaliser pleinement. Dans cette perspective, le but de la politique devrait être au contraire de favoriser les institutions qui conservent la densité des rapports humains afin d’irradier au mieux l’espace social, plutôt que de sélectionner l’égoïsme comme seule qualité du lien social. Nul doute que l’individualisme serait alors sérieusement contenu et le “ vivre ensemble ” de notre société qualitativement modifié. Cette philosophie sociale, qui place la personne au cœur de sa réflexion, peut valablement être nommée : personnalisme.

Qu’est-ce qui vous séduit dans la formule mutualiste ?

La mutuelle, justement, est l’une de ces institutions capables d’étendre dans le champ social la qualité du rapport humain, puisque la confiance, la sollicitude, la sympathie lient normalement ses sociétaires. Or, dans l’optique libérale, les mutuelles apparaissent comme le vestige d’un passé révolu, que plus rien ne justifie et que condamne même l’alignement des statuts juridiques au nom de la sacro-sainte concurrence. Dans l’approche personnaliste, à l’inverse, les mutuelles s’imposent comme l’une des organisations d’avenir. D’autant que l’on est loin d’avoir pleinement exploité le potentiel mutualiste, habituellement limité à l’activité assurantielle.

Avez-vous un exemple ?

Plus qu’un exemple. C’est un réel espoir que permet précisément l’implication de l’organisation mutualiste dans un domaine où l’on n’a pas l’habitude de la voir : l’assistance.
Vous savez que nous consacrons, actuellement en France, plus de 40 milliards d’euros par an en aides directes aux personnes (RMI, prestations familiales, prestations logement, minimum vieillesse…). Ce qui représente un effort de solidarité considérable, dont nous pouvons légitimement être fiers. Malheureusement, 4 millions de personnes (dont 1 million d’enfants) vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Ce qui est proprement inadmissible. Or, au vu des premières analyses que nous venons de publier, une nouvelle organisation de l’assistance, mettant des mutuelles au cœur du dispositif de redistribution, se montrerait capable d’Eliminer la pauvreté en France, sans pour autant accroître l’effort de solidarité ! L'annonce est si forte qu'elle devrait pousser chacun à y regarder de près. Il y va du sort de millions de personnes démunies…

Source : MAIF Info
http://www.maif.fr/site1/actu/actsom.htm